« De deux choses lune, l’autre c’est le soleil » (Jacques Prévert, Le paysage changeur, « Paroles », 1949)
Donner un nom commun à une pratique collective
Faire le choix de prendre le nom commun de La Luna, c’est se rendre visible sous un signe commun et reconnaissable par tous. La Lune, satellite de la terre, est un corps opaque, qui ne brille que par la lumière qu’il reçoit du soleil, et que sa surface nous réfléchit… Comme la lune… ronde et féconde, qui jour après nuit, éclaire discrètement les paysages sombres, qui rend fertiles les lieux oubliés ou relégués, qui allume la lumière douce tapie au sein de chacun d’entre nous.
La Luna devient donc le nom d’un collectif d’activité et de production artistique coopérationnelle qui réunit l’énergie créatrice de trois personnes : Anne Racineux, Laure Coirier et Marie-P. Rolland. Trois artistes plasticiennes qui en partagent l’aventure humaine et la co-responsabilité artistique, depuis 1993.
* La Luna, une orthographe unique mais plusieurs prononciations aux accents multiples
La Luna, à la consonance latine et voyageuse, aime ainsi révéler en clair-obscur les zones d’ombre potentiellement subversives, en discrétion, sous des intensités variables, selon un cycle permanent.
La Luna, attractive, propice à réaliser ses rêves, aime prendre au sérieux le besoin de nouveaux paysages et le partage de nouvelles relations esthétiques et politiques. La Luna s’applique à inventer des liens fertiles et des formes fécondes qui libèrent, pour mieux habiter ensemble, ici et maintenant.
La signature est collective
Partager la signature collective, c’est ruser avec la fonction d’auteur, rester libre sous couvert d’anonymat possible, échapper au classement normatif de sa fonction sociale assignée, souvent réduite à une spécialisation technique et cadrée et à un rôle univoque. Au sein du collectif de travail et à côté, chacune de nous peut demeurer un électron libre, se transformant, à l’envi, en singularité quelconque, sous d’autres horizons. Réserve et discrétion offrent une immense liberté et toutes les fantaisies.
Le travail en équipe collective sans hiérarchie permet d’expérimenter sur du long terme la notion de contribution à l’oeuvre collective, à l’oeuvre « du commun ». C’est un projet d’économie collaborative en art, qui trouve tout son sens en se développant, à l’ère numérique, sous forme juridique de « créatives commons », questionnant les limites symboliques de la production artistique dans le marché de l’art.
Ce mode de production artistique co-réalisé en collectif, entre nous trois et augmenté par d’autres collaborations, permet d’expérimenter le partage de la propriété intellectuelle comme moyen de résister le plus possible à la privatisation et à la marchandisation de la pensée et de la production créative, à l’ère du marketing culturel.
La remise en question de l’autorat en art à des fins non spéculatives
En art contemporain, la signature collective permet de remettre en cause l’autorité de la figure de l’artiste, exceptionnelle et géniale, réduite à la personnification et à la servitude qui l’accompagne ; et d’explorer les notions du multi-autorat et de l’hétéronymie, comme élément moteur de l’existence créatrice, développée au quotidien, au plus près du vécu et en temps présent, exactement là, à notre place parmi la multitude, au plus près de la vie des gens.
C’est aussi un moyen de détourner les principes juridiques du copyright, du droit d’auteur personnel, et d’introduire la notion politique d’oeuvres d’intérêt général.
« Les premières places ne sont pas intéressantes, celles qui m’intéressent ce sont les places à part » (Jean Cocteau, Les enfants terribles, 1929, édition Grasset, Paris, 1971)
En agissant en tant qu’artiste collective, La Luna aime jouer librement avec les postures multiples hors des lieux normés de l’art, questionnant la relation esthétique au politique, échappant à toute classification hiérarchique, croisant les disciplines. Être à la fois l’un et l’autre, concepteur, faiseur, décideur, responsable, économe, secrétaire… nous faire exister dans le processus du travail créatif sans compétition. Se poser les mêmes questions mais y répondre sensiblement différemment. Admettre les représentations différentielles du monde pour durer sans s’essouffler, faire bouger les lignes de partage de la création artistique.